Discours de MM. David BINAN et Christian SOULARD
Discours du Proviseur de l’IFS M. David BINAN
Mme l’Ambassadrice,
Mme la Première Conseillère
Mme la Consule,
Mme la Conseillère de Coopération et d’Action culturelle
Messieurs les Représentants de l’AEFE
Mesdames, messieurs, les Représentants des Français de l’étranger,
Mesdames, messieurs, acteurs et représentants de la communauté scolaire de l’IFS et de la communauté éducative française de Singapour,
M. le Proviseur
Le week-end dernier, en rédigeant la préface de l’album de l’année de l’IFS, un mot a fait écho en moi pour cette soirée et n’y voyez aucune arrogance ou malice de ma part, c’est le mot « exploit ». Qui aurait effectivement imaginé le parcours de vie personnelle et professionnelle qui amène à s’exprimer devant vous ce soir, un homme tel que moi, originaire d’un village picard d’à peine cents âmes, fils de simples agriculteurs. Même si ce village que l’on traverse en voiture en une minute, porte le prétentieux nom de Lempire, qui l’aurait prédit : certainement pas moi.
Et pourtant. Comme pour beaucoup d’entre nous, ce cheminement, je le dois aux personnes qui m’ont éduqué, à mes parents qui n’ont pas fait obstacle à ce qu’après le collège unique instauré à mon entrée en 6ème – première réforme de l’Education nationale que j’ai vécue- j’accède au lycée général afin d’être le premier de la famille à décrocher le bac, et cela tout en me faisant découvrir et participer à leurs activités agricoles éprouvantes et à leurs yeux de moins en moins gratifiantes, activités dont ils ne voulaient pas que je prenne la suite.
A eux j’associerai ma grand-mère paternelle qui habitait juste à côté, qui m’accueillait, enfant, le soir, et qui, après m’avoir écouté lire à haute voix mon manuel d’histoire de France rempli d’images d’Epinal, me racontait parfois à l’aide de vieilles photos, les histoires toujours tristes de famille et de village, comme celle du voyage qu’elle a effectué, avec sa mère, à Verdun, en 1919, pour aller récupérer la dépouille de leur père et mari premier médaillé de la famille avec la croix de guerre. Je suis le second de la famille à être décoré de palmes dont l’une, à l’origine, était un rameau d’olivier.
Mon façonnement, je le dois à des lieux : les petits bois du village de mon enfance, Auschwitz, Ephèse, Istanbul, Tripoli, Leptis Magna ; l’abbaye de Valloires en Picardie maritime que j’ai arpentée, trois étés durant, comme guide et où, surtout, j’ai longuement écouté, discuté avec des femmes ayant donné leur vie au service du patrimoine et des autres.
Ma sensibilité, je la dois à la musique de Bach, Haendel, la messe de requiem de Mozart, la pavane pour une infante défunte de Ravel, Fayruz, « Here’s to you » de Joan Baez ou encore la chanson des vieux amants de Brel.
Mon cheminement s’est aussi fait de rencontres avec des personnes qui m’ont marqué, inspiré : mes professeurs dont je me rappelle tous leurs noms, de Mme Boniface en GS à Daniel Toussaint, mon professeur d’histoire géo de 2nde et de Terminale ; Mme Elisabeh Magnou Nortier, ma directrice de maîtrise en Histoire médiévale qui se métamorphosait quand elle racontait la bataille de Vouillé de Clovis contre les Wisigoths telle une charge de cavalerie dans les westerns de John Wayne;
Mme Germaine Loiseau, sœur et tante de maires de mon village, ancienne institutrice et grande copine de ma grand-mère avec qui elle s’échangeait des informations sur ce que vous pouvez imaginer tous les dimanches après-midis, qui consacra à l’élève de cours moyen que j’étais, le temps des vacances d’été, une heure hebdomadaire, en ayant le vain mérite de m’inculquer la règle de trois, à l’aide de vieux manuels d’arithmétique des années 1950 aux énoncés pour moi sibyllins.
M. Florent, mon professeur de lettres et de latin de khâgne, major de sa promo., qui nous torturait gentiment en nous faisant lire du « petit latin » mais dont l’explication de la madeleine de Proust fut une révélation.
Les élèves ont indéniablement joué un rôle, élèves que j’ai eus en France et ailleurs, dans des collèges, lycées, lycées professionnels, instituts français, élèves qui m’ont donné la satisfaction teintée de fierté de me sentir utile, de servir par moments à quelqu’un, quand je transmettais des savoirs, savoir faire, savoir être, quand je leur ouvrais les yeux et les cœurs. Ma madeleine du jour, c’est le souvenir que je relate souvent- je l’ai certainement déjà raconté à certains d’entre vous- souvenir de cette séance avec des 1ères bac pro commerce : l’étude de la première rencontre entre Frédéric Moreau et Mme Arnoux dans l’Education sentimentale de Flaubert ou comment travailler le point de vue en recontextualisant cette rencontre dans le monde d’aujourd’hui. Je n’ai pas été déçu de leur restitution ; en usant du mythe de la femme cougar ou de leurs fantasmes sexuels, ils s’étaient ainsi appropriés cette page de littérature en comprenant soudain l’intérêt d’étudier des textes d’autres âges.
Enfin pour exercer mon actuel métier, je me rappelle souvent la recommandation d’une une proviseure expérimentée, alors à la tête d’une des plus grandes cités scolaires de l’académie, qui calmait régulièrement les ardeurs des femmes et des hommes dont j’étais, aspirant aux postes de chefs d’établissements scolaires et avides d’autorité : « Le chef d’établissement n’a qu’un seul pouvoir – disait-elle- celui de convaincre » et ça s’est pas gagné.
C’est avec beaucoup d’affection et un profond sentiment de reconnaissance que je m’exprime ce soir, devant vous. Reconnaissance vis-à-vis des personnes rencontrées, que je rencontrerai et avec qui je travaille. Reconnaissance pour la confiance que me portent l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, les conseillers culturels et ambassadeurs, M. Chaumuzeau et M. Abensour , M. Boris Toucas et M. Jean Pierre Thébault, respectivement conseiller culturel et ambassadeur de France en Australie à qui je dois cette décoration, vous, Mme l’Ambassadrice, Mme Denis Blanchardon, Première Conseillère, Mme Baneth-Nouailhetas à qui je dois notamment de recevoir cette décoration.
Reconnaissance à notre République française, aux valeurs qu’elle m’a transmises, à celles et ceux qui se sont battus et se battent pour elle/s, et à l’aide apportée, sans laquelle je ne serai pas arrivé jusqu’ici.
Mes derniers remerciements iront à la plus belle partie de moi, ma femme, Ilham, mon inspiration et mon moteur, passionnée et engagée dans tout ce qu’elle fait, une épouse qui m’a transformé, fait découvrir d’autres horizons, m’a insufflé l’appel de l’étranger et avec qui je parcours et découvre le monde depuis plus de 25 ans. Merci à elle et à notre fille, qui illumine notre vie depuis plus de 21 ans, pour leur résilience, leur compréhension, leur soutien de chaque instant.
Ma dernière reconnaissance va à mes beaux-parents qui m’ont confié leur fille, m’ont ouvert leur porte et cœur et m’ont accueilli comme leur deuxième fils.
Si en pareille circonstance, il est d’usage de remercier – et j’y ai satisfait avec grand plaisir – vous avez constaté qu’il était incontournable de parler de soi, même si ma nature ne m’entraîne pas vers la recherche des honneurs et le simple fait de vous parler de moi peut paraître incongru.
Les Palmes académiques sont certes une décoration individuelle, mais pourtant je veux la partager avec vous toutes et tous, ce soir, avec les méritants, ceux qui s’engagent au service d’une cause. Parce que l’engagement marque une conviction, une volonté et le respect de l’autre, simplement. Nous tous qui sommes là sommes engagés, au service du savoir et de sa transmission.
Aujourd’hui, me rapprochant de la soixantaine, j’ai certaines idées claires. J’ai appris la valeur du temps, de l’effort et de la patience, je sais que l’important, c’est de créer, d’agir. “L’important est ce qui reste à faire”, nous devons le dire, faire connaître et transmettre les valeurs qui sont les nôtres. Communiquons: mettons en commun ce que nous sommes ! Soyons-en fiers, mais soyons-le humblement, ouverts, à l’écoute de ceux qui n’ont pas cette chance.
Comme le roi Créon le dit à Antigone, dans la pièce éponyme de Anouilh, « il faut suer et retrousser ses manches, empoigner la vie à pleines mains et s’en mettre jusqu’au coude », tout en se contentant de joies modestes : « la vie c’est un livre qu’on aime, c’est un enfant qui joue à vos pieds, un outil qu’on tient bien dans sa main, un banc pour se reposer le soir devant sa maison. C’est la consolation dérisoire de vieillir, la vie, ce n’est peut-être tout de même que le bonheur. ».
Merci.
Discours de l’ancien proviseur de l’IFS M. Christian SOULARD
Mme l’Ambassadrice, Mme Le Premier Conseiller, Chère Anne,
Merci Mme l’Ambassadrice pour les mots que vous venez de prononcer en cette occasion. Ils m’honorent et me touchent. Je souhaite associer à ces remerciements Monsieur Abensour sous l’autorité duquel j’ai passé ces quatre années à Singapour.
C’est un grand plaisir d’être avec vous tous ce soir, après ces longs mois COVID qui nous ont maintenus dans l’isolement. Je sais les agendas chargés des uns et des autres, merci d’avoir pris ce temps pour être présent.
Depuis mon atterrissage à SGP, ma tête a replongé dans la crise que nous avons traversée. Je pense au fonctionnement de nos trois entités, Ambassade, IFS (avec son Comité de Direction et sa cellule de crise) et Conseil Exécutif.
Je tiens à souligner le travail d’équipe qui fut la règle pendant cette période tourmentée. Toute l’équipe de l’Ambassade pour l’aide, la collaboration étroite sous la direction de M. l’Ambassadeur que je salue pour son écoute, son soutien indéfectible et permanent dans un contexte d’angoisse et de grande frustration de la communauté. Merci à Anne et à Anthony avec qui j’ai travaillé de nombreuses années.
Côté IFS, je garde en mémoire ces réunions à un stade quasi quotidiennes, parfois le dimanche après-midi. Cette période fut intense émotionnellement, mais notre volonté de rester soudés face à la frustration, parfois la colère – sourde ou exprimée – des uns et des autres nous a permis de respecter notre engagement vis-à-vis de nos élèves et d’assurer la continuité de leurs apprentissages. Un grand merci à tous.
Et puis la réactivité, les discussions sincères, constructives avec le troisième sommet du triangle que je citais, le conseil exécutif. Tout cela pour une communication efficace, claire et assumée par tous, auprès des parents et du personnel. Merci Jean-Marc et ton équipe.
En situation de crise, les institutions révèlent leur véritable nature. Nul doute que nous en avons démontré la robustesse, la cohérence et l’efficacité.
Sur un plan personnel, je tiens à exprimer ma reconnaissance à l’AEFE qui m’a permis une aventure personnelle et professionnelle extraordinaire. Une éducation internationale à la française a sa place dans le monde globalisé de l’éducation. Je suis fier d’y avoir modestement contribué.
Toutes ces années, Keren mon épouse m’a soutenu. La vie d’un proviseur peut être grisante et enthousiasmante, mais aussi parfois stressante et bien compliquée. Merci Keren.
Mme l’Ambassadrice, cette cérémonie est dédiée à l’éducation, alors permettez-moi ces quelques réflexions d’actualité concernant élèves et apprentissages.
Dans un environnement de croissance exponentielle et incontrôlée du numérique, des réseaux sociaux, nous assistons à une forme nouvelle d’attaque, celle de nos cerveaux. Et ceux de nos élèves constituent une cible de choix : à les considérer par certains, j’ose le dire, comme de la pâte à modeler à triturer en fonction des événements.
Soudain, les frontières entre vérités et mensonges, faits et croyances, s’estompent. Un mot d’ordre, un slogan s’offrent comme solutions à tous les problèmes. Finie l’analyse de la complexité, tout est si simple, « croyez-moi, suivez-moi ! »
Et les objectifs idéologiques des uns rejoignent aisément les objectifs commerciaux des autres.
A méditer en pensant à ce que nous voulons apprendre à nos élèves. D’autant qu’un nouvel acteur vient d’entrer en scène : l’intelligence artificielle et son logiciel CHATGPT.
Non seulement l’ordinateur sait – il a en mémoire l’équivalent de 750 000 fois la Bible – mais il organise la réponse à votre question dans une langue propre, claire et structurée. Le logiciel vous rédige votre dissertation. Les universitaires sont bluffés, les profs sont inquiets, le monde de l’éducation se pose la question des modes d’évaluation et de certification, etc.
Savoir ou apprendre, nous devons nous interroger.
Philippe Meirieu, pédagogue reconnu, analyse, je cite : « le robot inverse le sens de la relation pédagogique…. Il comble le désir de savoir et tue le désir d’apprendre. Il donne des réponses immédiates objectives et abolit ainsi la dynamique du questionnement. Il produit des certitudes qui enkystent la pensée… Tout le contraire de ce qui incombe au professeur : susciter des interrogations pour libérer des préjugés. »
En ce moment de modelage des cerveaux, de trop plein de savoir, de slogans pour solutions simplistes, le pédagogue Fernand Oury nous dit : « il est temps de donner aux enfants d’aujourd’hui ce qui leur manque le plus : le manque ». Paradoxe ! La sensation du manque c’est ce qui motive le désir d’apprendre. Il passe par l’art du questionnement, l’art de se poser les bonnes questions. Et le maitre en la matière reste l’enseignant.
Mon dernier mot s’adresse à eux, en hommage à ce métier que j’ai eu le grand plaisir d’exercer.
Mme l’Ambassadrice, je vous remercie à nouveau pour nous avoir reçu ce soir et nous avoir permis ce moment.